« Ils ont voulu m'appeler Gabriel. Sans le "lle", s'il vous plait. Tout ça pour conserver le culte de l'ange. En suis-je vraiment un ? S'ils me voyaient, maintenant... Après tout, ce ceux ont, qui ont décidé de ne pas m'offrir ces deux L. Deux ailes. C'est peut être ce qui fait de moi le personnage que je suis aujourd'hui. Je suis loin d'être ce que l'on peut croire. Jamais vous n'arriverez à lire dans mes pensées, à décelez la moindre de mes réflexions. Parce que nous ne sommes rien sans sentiments. Parce que je ne serai rien sans mon esprit de vengeance. J'en ai le nom mais surement pas le cœur... »

Je suis désolé, monsieur Riverson. Votre fille a été diagnostiqué psychologiquement instable. Ils avaient balancé ça comme ça, à la figure de mes parents. Sèchement, froidement. Des mots dénoués de sens, mais surtout de sentiments. Des diagnostiques comme ça, ils en sortaient tous les jours, peut-être même toutes les heures. Ils se fichaient de savoir comment ils pouvaient le prendre, comment ils réagiraient. Comment ils pouvaient survivre à une annonce aussi dévastatrice d'une tornade en Amérique. J'avais été qualifié de «folle», d'«instable», de «pathologiquement incorrecte», et d'autres noms d'oiseaux dont j'avais été incapable de retenir. Ces qualificatifs, je m'en fichais pas mal. Je m'en fichais, mais pas eux. Pas les autres, pas mes parents. J'étais devenue l'erreur numéro un de la nature, la brebis galeuse de la famille. Qu'avaient-ils fait au bon dieu pour avoir une fille comme moi ? Une famille comme la mienne n'aurait jamais du être frappée pas le fléau du tout puissant, si l'on suivait la proportion de l'amour de mes parents pour notre créateur. Je priais, moi aussi. Je priais pour qu'il n'arrive jamais rien aux personnes qui vivaient sous mon toit. Je priais pour que d'autres choses disparaissent. J'avais huit ans. J'étais une gamine, à cette période. Pourtant, je n'avais plus rien d'une enfant. Non, je n'avais pas le loisir de jouer à la poupée, ou d'habiller soigneusement les poupons en porcelaine que mes parents se tuaient à m'acheter. J'entendais des choses. Des choses que d'autres ne percevaient pas. Je voulais que ces voix partent, je voulais les chasser, à jamais. Alors j'hurlais, aussi fort que je le pouvais. Je frappais les murs, je bouchais mes oreilles et je frottais mon front, frappé par la douleur. Avant le diagnostique, ma tendre mère me disait que c'était les voix des anges, qu'ils s'appliquaient à me rassurer quand j'avais peur. Mais je refusais d'y croire, je refusais de penser qu'une telle chose était possible. Je refusais de croire qu'un ange murmurait à mon oreille de tuer un membre de ma famille.

J'ai été suivi par un psychiatre pendant des années. Jusqu'à la fin de mon adolescence, jusqu'à l'accident. Ma scolarité a été relativement normale : j'ai suivi des cours, comme tout le monde. J'ai eu de rares amis, des petits amis, des oiseaux de nuits, des ennemis. J'étais normale, au fond. J'étais juste beaucoup plus renfermée, un peu comme ces étudiants qu'on surnommait vulgairement les «intellos» ou «rats de bibliothèque». J'étais normale. J'essayais tellement de m'en convaincre que j'arrivais à y croire. Je me mentais à moi-même. Je savais que quelque chose clochait, chez moi. Plus je grandissais, plus les voix étaient fortes, dans ma tête. Le tam-tam incessant me hantait jour et nuit, jusqu'à en perdre la raison. Je ne supportai plus de vivre comme une aliénée. Je ne voulais plus être suivie, je ne voulais plus entendre ces voix. Je ne voulais plus faire de l'ombre à mes parents, si nets, si parfaits. Dieu s'était trompé, sur mon compte. Il avait fait de moi une créature différente, effrayante. C'était ce dont je pensais. J'ignorai profondément qu'au fond de moi vivait une créature repoussante qui sortait du fin fond des enfers.

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