Casque sur les oreilles déversant une douce drogue portant le nom du groupe Dire Straits jusqu'au cerveau de Charlie, agitant chacun de ses neurones, celle-ci se préparait pour aller prendre son service au bar où elle bossait. Pas vraiment du genre coquette, elle ne perdait jamais une heure à se contempler dans le miroir de la salle de bains. Mais il y avait quelques basiques auxquels jamais elle n'échapperait parmi lesquelles les ongles peinturlurés et les yeux maquillés de noir sans laisser place à aucune subtilité. Néanmoins, quelque chose vint ce jour-là, la perturber dans cette petite habitude prise. Comme un bruit de fond, et tandis qu'elle refermait à clé la porte de sa chambre de motel, elle eut la curiosité de libérer une de ses oreilles du casque, pour entendre, en provenance de la chambre voisine : « Bon, faites-moi signe quand vous vous serez fait un raison, je n'ai pas que ça à faire. Cependant, je le répète, vous êtes MORT ! » Avec un fin sourire, Charlie remit son casque bien en place avant de laisser tomber ses clés quelque part en vrac au fond de son sac à main. Elle n'avait pas fait attention au fait qu'elle connaisse cette voix ni au paradoxe qui consistait à discuter de la mort de quelqu'un avec quelqu'un de mort. Non pas qu'elle soit habituée à ce que la terre comptait de surnaturel – bien au contraire même ! - elle était tellement terre-à-terre qu'elle avait analysé cela comme une quelconque dispute où les parties se lançaient des images blessantes à la gueule, elle voyait d'avantage ça comme un 't'es mort à mes yeux sale enfoiré' que comme un 't'es mort mec, putain mais mate, ton encéphalogramme est à plat'.

Rien qui ne puisse perturber sa routine donc, par contre se faire heurter par une furie surgissant de derrière une porte ouverte tandis qu'elle longeait simplement le couloir, ça... ça la foutait d'avantage en rogne. Le casque retombé sur les épaules, elle n'eut pas à s'accorder un quelconque moment pour remettre ses esprits en place avant d'ouvrir les lèvres pour s'apprêter à déverser un charmant flot d'insultes à son assaillante qui, pourtant, fait rare, la devança sur ce point. Néanmoins, elle ne se vexa pas, et en fut même plutôt amusée tandis qu'elle reconnaissait Sarah-Lynn, apparemment très en colère... elle reconnaissait maintenant sa voix. Trop en colère pour remarquer à qui elle s'adressait dans un premier temps, et haussant un sourcil tandis qu'un fin rictus ne disparaissait pas du coin de ses lèvres, Charlie croisa les bras sous sa poitrine, et attendit... 3...2... 1... « Excuse-moi, je suis un peu sur les nerfs » et enfin, Charlie s'autorisa à rire doucement. Wahow ! Sarah-Lynn était au moins aussi furie qu'elle dans le genre, jamais elle s'en serait doutée. Lui faisant savoir qu'elle était toute excusée, elle répondit simplement : « Ça va, je le serais aussi si un lourdeau me collait au cul ... » Elle donna simplement un petit coup sec du poing sur le mur du motel, se justifiant par cette simple remarque : « … côté insonorisation, on repassera. » Tandis qu'elle enfouissant sa main dans le bordel que contenait son sac, tâtant à la recherche de son i-pod, elle pencha sans discrétion la tête vers l'intérieur de la chambre de Sarah-Lynn. Curieuse. Sans gêne. S'assume. Et ses sourcils se haussèrent dans un signe d'étonnement et de relative incompréhension tandis qu'elle constatait qu'elle faisait face... eh bien à du vide ! Pas de monsieur lourdeau en vue.

Elle haussa simplement les épaules en retrouvant le regard de Sarah-Lynn, à mille lieux de se douter que se tenait non loin un esprit. D'ailleurs, comment aurait-elle pu s'en douter ? Comme la plupart des habitants peuplant la planète, les spectacles de nature surnaturelle se résumait pour elle aux derniers films de science-fiction à l'affiche. Et à Kentwood, où plus que jamais, elle était entourée par les faits étranges, elle ne s'en alarmait pas une seule seconde. Son esprit était bien trop conditionné par un schéma de pensée dit rationnel. Il n'y avait personne eh bien quoi ? Elle allait pas se barrer en courant... le téléphone ça existe aussi. Se parler à soi-même aussi... bon d'accord, pour le coup, ça s'assimilerait probablement d'avantage à de la schizophrénie. Mais véritablement, Charlie n'en était pas là dans sa réflexion. Elle trouva son i-pod et enfonça son doigt sur la touche 'pause'. Elle n'y pensait déjà plus.

I-pod finalement coupé et justification donnée par Sarah-Lynn, la vie pouvait reprendre son cours sans que Charlie n'imagine une seule seconde qu'elle venait de frôler la découverte de tout un monde qui lui échappait. A ses yeux, Sarah-Lynn n'était pas une élue ni quoi que ce soit d'autre, elle était une jeune femme fraîchement débarquée à Kentwood qui n'avait pas sa langue dans sa poche, chose qui ne pouvait certainement pas déplaire à la brunette. Ainsi, ce fut de bon cœur qu'elle rit à sa remarque accompagnée d'une grimace d'anthologie : « Alors, tu as une chambre ici ? Pour ma part, je suis juste venue jeter un coup d’œil, histoire de voir ce que valait ce motel et je dois dire que je me suis très vite fait une opinion » En effet, ici, c'était tout sauf le complexe cinq étoiles avec piscines, jacuzzi, courts de tennis et terrains de golf. C'était plutôt ambiance éclairage foireux, murs non insonorisés, lits grinçants... et Charlie n'aurait pas été étonnée que les moins chanceux aient à composer avec mites et cafards de tout genre. Pourtant, paradoxalement, elle se sentait bien dans cet endroit et le confort de la maison familiale ne lui manquait pas une seule seconde. Elle répondit, avouant dans un léger sourire : « Clair que ça fait motel de vieilles séries policières... voire carrément de films de boules. Et encore, t'as pas vu la gueule de ceux qui peuplent le motel ! » Car oui, la nuit tombée, c'était un véritable défilé de jeunes filles au look particulièrement vulgaire, de mecs éméchés aux mains baladeuses. Et puis le matin, si on se levait suffisamment tôt, on pouvait observer ce que Charlie aimait appeler la marche de la honte. Les cheveux sales, le maquillage dégoulinant, le regard baissé vers le sol... tout ce petit monde reprenait le cours de sa vie, pas toujours bien fier de ce qui s'était passé la veille. Non vraiment, Charlie l'aimait bien cet endroit où crécher...

« Tu peux peut-être trouvé un petit B&B en centre ville, mais le loyer sera tout de suite différent. Après, faut voir combien t'as sur toi. Perso, avec mon salaire et mes pourboires réunis, je peux pas me payer autre chose si je veux espérer bouffer à la fin de la journée. » Et elle n'avouait certainement pas cela avec un air de caliméro. Le fait était que cette condition précaire lui saillait à merveille. Elle n'avait pas un seul diplôme en poche et tout ce qu'elle désirait faire était de vivre au jour le jour sans rester trop longtemps dans une même ville. Elle aimait voyager d'Etat en Etat, enchaînant des jobs tous différents. Bosser en tant que saisonnière dans un champ de maïs du Wisconsin pour faire hôtesse le lendemain dans une grande exposition sur New-York, courir jusqu'au Minnesota et faire vendeuse dans un sex-shop puis secrétaire dans un complexe de luxe californien. C'était ainsi qu'elle aimait sa vie, quitte à crécher dans des hôtels craignos. D'ailleurs, elle ne savait pas ce que faisait Sarah-Lynn de sa vie mais sa grimace lui laissait présager qu'elle était habituée à un autre niveau de vie : « Au fait, tu fais quoi dans la vie … ou faisais quoi ? » Elle venait juste de débarquer dans le coin après tout, et Kentwood n'était pas ce qu'il y avait de mieux niveau marché du travail. Cette petite ville du Sud n'offrait que peu de jobs 'élevés'. Qui aurait voulu faire commercial ici ou bien y installer son cabinet d'avocats ?